L'horloge et la paramécie.

 

A. Description.

 

1. De quoi sont - elles faites ?

- 1. L'horloge est composée d'un poids, d'un pendule, d'aiguilles et de rouages.

- 2. La paramécie est composée de cils, d'une membrane, de cytoplasme, de deux noyaux, d'une bouche cellulaire, d'un sac digestif, de deux vésicules contractiles. Sa taille est de 0, 25 mm.

Rm. JOBLOT, disciple de LEUWENHOEK, utilise pour ses expériences ces micro - organismes.

 

2. Comment fonctionnent - elles ?

- 1. Le mouvement de la pendule à poids. L'horloge associe un poids qui tombe à petits coups réguliers et un pendule à oscillations entretenues. Ils sont liées par un mécanisme d'échappement :

A. les chutes successives du poids sont provoquées puis arrêtées de façon régulière par les battements du pendule ;

B. la chute du poids entretient les battements du pendule. La chute du poids entretient le mouvement d'un système d'aiguilles.

- 2. La paramécie. Elle se meut par ses propres moyens. Elle capture, digère et assimile les proies vivantes (bactéries, algues unicellulaires) qu'elle trouve dans le milieu environnant.

 

3. D'où proviennent - elles ?

- 1. La construction. Les horloges sont construites par l'homme. Il faut un homme, un ensemble de techniques, un plan qui commande l'exécution de l'horloge.

- 2. La reproduction. La paramécie se reproduit. Elle se divisez en deux plusieurs fois par jour. Les descendants d'un même individu occuperaient au bout d'un mois un volume égal à un million de fois celui du soleil.

 


B. Son analyse.

 

1. Ce sont des ensembles.

L'horloge est un assemblage ; la cellule est un ensemble.

-1. Des totalités. Ce ne sont pas des totalités de même nature.

A. L'horloge est divisible en éléments distincts, indépendants. La cellule est indivisible en éléments indépendants : chaque partie a un rôle par ou pour l'autre : les cils sont immédiatement liées aux fonctions de locomotion et de digestion.

B. L'horloge est faite de parties décomposables et recomposables, qui peuvent soit reformer le même tout, soit entrer dans un autre tout : le même ressort peut servir à la fabrication d'un autre horloge. La cellule n'est pas faite de parties décomposables et recomposables.

- 2. Des individualités. Elles sont unes ; elles se distinguent de ce qui les entoure.

A. L'horloge n'a qu'une individualité relative : on peut changer une pièce sans changer l'horloge.

B. La cellule a une unité anatomique et une autonomie fonctionnelle : la membrane l'isole, - sans la séparer -, du milieu. Elle se suffit.

Rm. Le vivant et l'individualité. Le vivant peut être un groupement : l'éponge. Le parasitisme offre un cas complexe d'individualité.

- 3. Des ensembles dans un milieu.

A. L'horloge appartient à un techno - système. En amont par les instruments qu'elle requiert pour sa fabrication, par les techniques qu'elle concrétise comme en aval par les techniques et les modes de vie qu'elle détermine, - elle a un rôle important dans la vie des monastères -, l'horloge appartient au monde humain de la technique.

B. La cellule appartient à un milieu qu'elle sollicite, - pour la nourriture -, et qui les sollicite, - par les dangers et les menaces. La cellule échange avec le milieu : elle y prend ce qui lui est nécessaire et rejette ce qui lui est inutile.

Les tiges des végétaux contiennent de l'eau prise dans le milieu ; la silice des carapaces de certains arthropodes est prélevée dans le milieu tellurique.

Rm. Certains vivants construisent, - les abeilles, les termites, les castors -, leur milieu. d'autres l'aménagent, - les radicelles des végétaux sécrètent parfois des toxiques.

 

2. Des ensembles animés.

- 1. Machine et organisme. L'horloge est un ensemble de mécanismes :

"Un mécanisme, c'est une configuration de solides en mouvement telle que le mouvement telle que le mouvement n'abolit pas la configuration. Le mécanisme est donc un assemblage de parties déformables avec restauration périodique des mêmes rapports entre parties"

Georges CANGUILHEM. La connaissance de la vie. Machine et organisme1 .
A. L'horloge restitue le mouvement qu'elle reçoit et emmagasine ; la cellule produit le mouvement : la machine est hétéronome ; la cellule est autonome.

B. L'horloge restitue le mouvement selon une fin qu'elle ne choisit pas elle - même ; la cellule a une certaine initiative dans l'emploi du mouvement.

- 2. Le mouvement a une fonction. L'horloge a une finalité externe : elle indique l'heure à l'horloger ; la cellule a une finalité interne : tout ce qu'elle fait a un but commun et unique : se maintenir en vie, - c'est l'autoconservation.

- 3. Le mouvement de l'horloge dépend d'une force motrice, celui de la cellule d'une force formatrice : elle restitue la partie lésée ou le tout.

Ainsi : la régénération du cristallin chez la Salamandra Maculata.

 

3. Des ensembles qui durent.

- 1. Création et naissance. L'horloge est produite par un autre ; la cellule est reproduite à partir du même.

- 2. Le maintien en l'état et la persévérance. L'horloge est maintenue en état de marche : la maintenance et la révision sont à cette fin nécessaires. La cellule fait un effort pour demeurer en vie.

La vie déroge en ce sens au second principe de la thermodynamique : un système isolé, - c'est - à - dire n'échangeant ni matière ni énergie avec l'environnement -, et éloigné de l'état d'équilibre, évolue de telle sorte que son entropie augmente.

- 3. Panne et maladie. Il ne s'agit pas du même trouble de fonctionnement.

A. La panne est la fin de l'activité ; la maladie n'est pas le terme de la vie.

B. La cellule se répare ; l'horloge ne se répare pas seule.

C. La cellule dans la maladie marque une souplesse par rapport aux limites ; l'horloge est incapable de s'éloigner des limites qui lui sont assignées par sa constitution.

- 4. Usure et vieillesse. L'action du temps s'exerce de l'intérieur dans le cas de la cellule.

- 5. Bris et mort. Les machines jouissent d'une immortalité potentielle ; le vivant est mortel. La mort de l'individu est la condition de la vie de l'espèce.

 

Bilan : Les caractères propres de la cellule sont l'autoconservation, l'autoreproduction, la relation originale au temps et au milieu.

 


C. Les conséquences.

 

La machine ne saurait être un modèle d'explication pour le vivant, - contrairement à ce que concevait BAGLIVI dans la Praxis Medica (1696).

 

1. La finalité du vivant.

Le but est en même temps la cause. Dans le vivant, il existe une causalité à rebours.

- 1. L'existence de cette finalité. Les convenances complexes ou l'autorégulation est une propriété originale du vivant qui ne permet pas que la machine soit un modèle d'explication pour le vivant.

Un fait est déclenché par les conditions mêmes qui en rendent la présence indispensable au salut de l'organisme.

Exemple : l'accélération respiratoire est déclenchée par l'action qu'exerce sur le bulbe l'excès d'acide carbonique sanguin qui rend cette accélération nécessaire.

Or comment un tel but pourrait - il exister dans l'organisme ?

- 2. La finalité existe dans la machine. Certaines machines comme les thermostats ou certains phénomènes naturels comme les alizés supposent l'existence de cette autorégulation.

En ce sens le vivant ne possède là rien qui soit exceptionnel.

- 3. La machine a une finalité rigide. La machine a une fin et des moyens exclusivement subordonnés à cette fin. Elle n'a pas de pouvoir d'adaptation : un seul processus conduit à la réalisation de la fin. Le vivant est perpétuelle invention :

A. une même fin peut être réalisée par plusieurs moyens : il y a une vicariance des fonctions du vivant. La vue guide l'ataxique ; l'hémiplégie ne provoque pas l'aphasie dans tous les:cas chez l'enfant.

B. Un même moyen peut réaliser peut plusieurs fins : il y a une polyvalence des organes. Le poumon a une fonction lipodiérétique ; l'estomac joue un rôle dans l'hématopoïèse : le rein a une fonction endocrinienne.

C. Une même fin aurait pu être réalisée par d'autres moyens que ceux employés.

Exemple : la structure de la tête fémorale chez l'homme présente une forme en arc - boutant en éventail et en ogives. D'autres formes étaient cependant possibles.

De la sorte l'écart par rapport à la norme est possible chez le vivant : le monstre est vivant. La machine n'est pas monstrueuse.

Rm. La finalité et la causalité. La cause dit pourquoi ; la finalité dit pour quoi. Il y a une digestion parce qu'il y a un estomac (cause) ; il y a un estomac pour ou afin de digérer.

 

2. Le vivant et son milieu.

- 1. Les preuves de l'évolution. Les preuves paléontologiques, embryologiques (la loi de HAECKEL), biogéographiques (les marsupiaux ne se trouvent que sur le continent australien), les preuves de l'anatomie comparée (le cou de la girafe comme celui de l'hippopotame a sept vertèbres : ils doivent donc avoir un ancêtre commun). Les méthodes et les systèmes permettent d'opérer des rapprochements.

- 2. Les théories :

A. Jean - Baptiste de MONET, chevalier de LAMARCK (1744 - 1829).

Les deux lois de l'évolution :

"Première loi. Dans tout animal qui n'a point dépassé le terme de ses développements, l'emploi plus fréquent et soutenu d'un organe quelconque, fortifie peu à peu cet organe, le développe, l'agrandit;, et lui donne une puissance proportionnée à la durée de cet emploi ; tandis que le défaut constant d'usage de tel organe, l'affaiblit insensiblement, le détériore, diminue progressivement ses facultés, et finit par le faire disparaître.

Deuxième loi. Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus par l'influence des circonstances où leur race se trouve depuis longtemps exposée, et par conséquent, par l'influence de l'emploi prédominant de tel organe, ou par celle d'un défaut constant d'usage de telle partie, elle le conserve par la génération aux nouveaux individus qui en proviennent, pourvu que les changements acquis soient communs aux deux sexes, ou à ceux qui ont produit ces nouveaux individus"

LAMARCK. Philosophie zoologique. I, 7 (1808)2 .

Mais :

Deux mécanismes sont à l'oeuvre dans la sélection naturelle :

Vivre c'est soumettre à l'ensemble des vivants et à leur jugement une différence individuelle.

Mais :

- une variation insensible est inefficace ; une mutation brusque ne peut pas toujours s'accorder avec les autres parties du corps. Il faut donc supposer une convergence des mutations.

 

3. La connaissance du vivant.

- 1. Les obstacles méthodologiques. Pour connaître le vivant il faut recourir à des méthodes qui vont parfois à l'encontre de la spécificité du vivant même.

La dissection ne connaît que l'anatomie ; la physiologie ne peut être connue que par la vivisection. Or la douleur peut modifier les réactions de l'organisme.

Le vivant est soumis à un déterminisme qui n'est pas celui du milieu extérieur mais celui du milieu intérieur.

Exemple : la température du vivant à sang chaud ne dépend pas de la température extérieure.

- 2. Les obstacles d'intérêt technique. La technique est analytique, - or le vivant est une totalité. Les techniques qui font appel aux vivants ont longtemps été des techniques non analytiques : le miel, la soie, les poisons les teintures, l'opium prennent le vivant dans sa totalité.

- 3. Les obstacles épistémologiques. Comment comprendre le vivant ? - L'homme est le vivant qui veut comprendre la vie.

Rm. Le mot biologie apparaît avec LAMARCK et TREVIRANUS.


  1. Cf. CANGUILHEM (1985), p. 102.
  2. Cf. LAMARCK (1994), p. 216 - 217.


Sommaire. Cours | Bibliographie générale