"Père, pardonne - leur car ils ne savent pas ce qu'ils font." (Lc. 23 : 33). La parole du Christ expirant sur la croix demandant le pardon pour ses bourreaux lave de l'accusation de meurtre ceux qui ne connaissent ni la nature, ni les conséquences de leurs actes, et qui n'en connaissent pas même les raisons : les tortionnaires réalisent malgré eux le plan divin de la Réparation du péché originel. L'ignorance et l'absence de volonté retireraient toute malice à la crucifixion. Ces hommes parce qu'ils sont inconscients ne sauraient se voir reprocher quelque faute que ce soit. Cependant, la connaissance est le plus souvent exigible : toute ignorance ne saurait exempter de la responsabilité parce que de cette ignorance même on peut être responsable. Dans les Evangiles, JUDAS le sait bien qui regrette la délation et restitue aux grands prêtres l'argent du sang (Mt. 27 : 3 - 5). L'inconscience relève - t - elle de toute responsabilité et efface - t - elle toutes nos obligations ?
Le reproche qui pèse sur celui qui agit de manière inconsciente concerne d'abord son acte et les conséquences de son acte.
Celui qui agit inconsciemment agirait de manière étourdie, à la hâte, à la légère, sans avoir, estime - t -on, vraiment réfléchi à son geste. Il lui est donc reproché d'avoir agi sans avoir pris la peine et la précaution d'examiné son acte. Une délibération serait à chaque fois requise avant d'agir. La première condition de l'action, qui la distingue des réflexes, c'est bien la délibération et ainsi la conscience d'agir. L'inconscient ne ferait que réagir en perdant la maîtrise de son action et de son sens d'action. De ce fait, l'inconscient ne veut pas ce qu'il fait ; ce qu'il fait lui est arraché par les circonstances.
Agir inconsciemment serait agir sans connaître exactement la nature de son acte. Les bourreaux ne savent pas ce qu'ils font ; ils obéissent à des ordres criminels dont la responsabilité incombe à des supérieurs. Le crime s'évanouit pour laisser place à l'obéissance commandée. La seconde condition de l'action c'est le choix de l'acte en tant qu'il est raisonné. L'action de l'inconscient n'est pas déterminée par la raison ; elle est irraisonnée.
Enfin, agir inconsciemment serait agir sans penser aux conséquences de son acte. La vision serait courte de celui qui agit de manière inconsciente ; il n'aurait pas prévu les suites pourtant inévitables de son geste. PILATE agit de manière inconsciente parce que cédant aux appels de la foule il condamne le fils de DIEU. L'action de l'inconscient est prise dans l'instant comme si l'inconscient était pris au dépourvu, devancé ou dépassé par les faits.
Pourtant, peut - on reprocher l'absence de réflexion, la réflexion incomplète ou la réflexion insuffisante de celui qui agit en inconscient ?
Le reproche ne saurait toujours être fondé parce que les conditions de l'action ne permettent pas toujours le contrôle des circonstances ou la maîtrise de soi.
La connaissance se heurte parfois à la complexité des faits. Reprocher l'inconscience d'une conduite est l'attitude de celui qui demeure extérieur à une situation difficile, qu'il peut dénouer parce qu'il y est extérieur. Celui qui, en revanche, est pris dans un tourbillon de faits agit comme il le peut et selon les lumières qu'il peut prendre de la situation. Le reproche d'inconscient est injuste parce que la connaissance complète d'une situation n'est pas toujours possible.
Les nécessités de l'action ne s'accommode pas de délais. L'action parfois s'impose et le retard produirait alors des conséquences plus néfastes que n'en produit une action peut - être précipitée. L'action ne souffre pas des atermoiements d'une conscience scrupuleuse mais hors du siècle.
Reprocher l'inconscience d'une conduite dont les conséquences se montrent pernicieuses relève d' un jugement rétrospectif. Seules les conséquence d'une action peuvent permettre de savoir qu'elle a été téméraire ou imprudente. Il faudrait l'intelligence du génie Laplacien pour connaître à l'avance les conséquences d'une action.
Mais l'inconscient a beau jeu d'invoquer cette ignorance pour refuser toute responsabilité dans sa conduite. A quel titre le reproche d'"inconscience" peut - il être fondé ?
Les reproches adressés à l'inconscient portent moins sur ce qu'il a fait que sur la manière dont il l'a fait.
Certes, nul ne peut pas toujours connaître exhaustivement les circonstances de son action. A tout le moins, chacun peut et peut - être même chacun doit faire l'effort de prendre connaissance des faits. Non seulement l'ignorance ne supprime pas la responsabilité mais elle l'augmente d'un poids plus lourd encore. Ce que l'inconscient dit ne pas savoir, il devait le savoir. Nul ne peut se prévaloir de l'ignorance de ce qui doit être su.
L'inconscient peut n'avoir pas voulu les conséquences que son action a effectivement produites. Néanmoins, son intention devait être orientée par des valeurs raisonnables et communément partagée. A quoi bon arguer de l'inconscience si l'intention se portait vers des valeurs déraisonnables ou strictement privées ? Qui préfère son bien - être immédiat au bien - être commun ne saurait prendre pour excuse l'inconscience.
Le reproche adressé à l'inconscient comporte une conception de l'homme comme être raisonnable qui ne saurait se démettre de la responsabilité de ses actes. Qui agit s'expose certes à voir le sens de ses actions dénaturées par le fait de séries causales nombreuses et complexes. Mais aussi de cela ne saurait - il être blâmé. En revanche nul ne saurait trouver refuge dans un état d'inconscience parce l'homme se définit par la conscience, par la capacité à prendre des initiatives et donc à endosser la responsabilité de ce qu'il fait.
Ce qui est reproché à l'inconscient, c'est donc de se démettre de sa qualité d'homme qui implique l'obligation de tendre sa volonté vers un bien commun et l'obligation de faire tout ce qu'il est en son pouvoir pour connaître la nécessité et le contenu de son action. Cependant, ce reproche est suspendu à un ordre de valeurs : la claire conscience, le bien commun, et à un ensemble d'attitudes attendues de l'homme : un être responsable.