PASCAL, Blaise. 1985. De l'esprit géométrique. Entretien avec M. de Sacy. Ecrits sur la grâce et autres textes. Introduction, notes, bibliographie et chronologie par André CLAIR. Paris : Flammarion. GF Flammarion, 436. 248 p. Ed : 10454 S Bibliographie : p. [243] - 244 ; Chronologie : p. [245] - 248.
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Présentation.
1. L'auteur. Eléments biographiques.
Né le 19 juin 1623 à CLERMONT - FERRAND1 .
La famille s'installe à PARIS en novembre 1631. Etienne PASCAL s'occupe de l''éducation de ses enfants. Géomètre amateur, il fréquente l'"Académie Mersenne". Le jeune Blaise l'accompagne.
1641 condamnation de l'Augustinus (paru en 1640) de l'évêque d'YPRES, JANSEN.
PASCAL conçoit une additionneuse mécanique.
1646 la famille, installé à ROUEN, adopte les positions du jansénisme.
23 novembre 1654 : nuit d'exaltation mystique.
1656. Condamnation des écrits d'ARNAULD proche de PORT - ROYAL.
23 janvier 1656 - 24 mars 1657 : Les Provinciales en soutien à PORT - ROYAL.
1659 - 1660 : la maladie le contraint à renoncer à l'activité intellectuelle.
9 août 1662 : il meurt à PARIS.
2. Le texte.
- 1. Le contexte scientifique. GALILEE publie en 1623 le Saggiatore, en 1632 les Dialogues sur les deux grands systèmes du Monde. En 1644, paraît le De Motu Gravium de TORICELLI.
- 2. La question du vide. Le texte cherche à établir l'existence du vide, contre les partisans aristotéliciens du plein, particulièrement contre le R. P. jésuite NOEL.
Le compte - rendu de l'expérience du PUY DE DOME exécutée par PERIER paraît en octobre 1649.
- 3. Un texte perdu.
A. Nous n'avons que la préface. Il aurait été rédigé en 1651.B. Son thème : le conflit des autorités (Antiquité / raison).
C. Sa thèse. La raison exerce un rôle légitime dans la constitution des sciences expérimentales.
3. Le plan.
Préliminaires. (§§ 1 - 3). Conflit des autorités : raison et Antiquité.
Première Partie. Deux sortes de connaissances. (§§ 4 - 13).
§§ 4 - 9. Les vérités historiques.§§ 10 - 12. Les vérités de raison.
§ 13. Conséquences de la confusion des domaines.
Deuxième Partie. Pour la recherche libre en science. (§§ 14 - 18).
Troisième Partie. Pour la raison. (§§ 19 - 21).
§ 19. La conception pascalienne du progrès.§ 21. Plaidoyer pour la raison.
Quatrième Partie. Quel respect pour les Anciens ? (§§ 22 - 26).
Cinquième Partie. Le vide. (§§ 27 - 28).
Conclusion. (§ 30). Antiquité et vérité.
Préliminaires. (§§ 1 - 3). Conflit des autorités : raison et Antiquité.
§ 1. Des limites de l'autorité de l'Antiquité. L'Antiquité ne doit pas avoir autorité dans tous les domaines.
1. Elle est tenue pour source de toute vérité ("des oracles de toutes ses pensées").2. Elle est tenue pour source de vérité là même où elle ne dit rien de vrai ou d'assuré ("des mystères même de ses obscurités").
3. La recherche est menacée de stérilité : un texte l'emporte sur les raisonnements ou les expériences : "le texte d'un auteur suffit pour détruire les plus fortes raisons".
§ 2 - 3. Deux extrêmes.
1. PASCAL se place entre deux tentations de l'extrême : "Ce n'est pas que mon intention soit de corriger un vice par un autre".2. La raison s'élève contre la tradition sans que le poids de la tradition ne l'emporte ou ne puisse être contestée par les raisonnements.
Première Partie. Deux sortes de connaissances. (§§ 4 - 13).
1. Les vérités historiques. (§§ 4 - 9).
§§ 4 - 6. PASCAL va distinguer deux sortes de vérités : celles dont le fondement se trouve dans l'histoire, celles dont le fondement ne peut être assuré que par la raison.
LEIBNIZ distingue dans la Monadologie des vérités de fait et des vérités de raison : "Il ya aussi deux sortes de vérités, celles de Raisonnement et celles de Fait. Les vérités de Raisonnement sont nécessaires et leur opposé et impossible, et celles de Fait sont contingentes et leur opposé est possible. Quand un e vérité est nécessaire; on en peut trouver la raison par l'analyse, la résolvant en idées et en vérités plus simples, jusqu'à ce qu'on vienne aux primitives"2 .
1. Les vérités historiques sont déjà constituées ("n'ayant pour objet que de savoir ce que les auteurs ont écrit"). Elles s'apprennent ("les unes dépendent seulement de la mémoire"). elles sont consignées dans les ouvrages ("les livres dans lesquels elles sont contenues").2. Les vérités dogmatiques restent en chantier ("ayant pour objet de chercher et découvrir les vérités cachées"). Elles se démontrent ("les autres dépendent seulement du raisonnement").
3. Cette distinction servira de critère pour le respect à porter sur les connaissances ("C'est suivant cette distinctions qu'il faut régler différemment l'étendue de ce respect").
§ 7. Les domaines où prévalent les vérités historiques : l'histoire, la géographie, la jurisprudence, les langues, la théologie.
Ce sont ces mêmes sciences qu'énumérait la Première Partie du Discours de la Méthode.
1. Les matières qu'ils contiennent sont soit des vérités de fait (des constats) soit des vérités d'institution (le fruit de décisions).2. L'autorité de ces sciences provient de l'autorité de la source : le législateur qu'il ne faut pas contester sous peine de crime de lèse - majesté, la divinité qu'il faut vénérer sous peine d'hérésie.
3. On peut en prendre aussitôt un savoir complet. Rien ne peut être ajouté à ce qu'elles contiennent : "d'où il est évident que l'on ne peut en avoir la connaissance entière, et qu'il n'est pas possible d'y rien ajouter".
§ 8. PASCAL propose des exemples empruntés à l'histoire (le premier roi des Français), à la géographie (le premier méridien), les langues (question de lexique).
1. PASCAL a une conception de la science historique que nous ne partageons plus : l'historien ne se contente sans doute pas d'enregistrer les faits du passé.2. Ces connaissances sont incontestables : elles proviennent des faits qui imposeraient leur nécessité à la connaissance qui s'y rapporte ; elles résultent de mesures (le méridien) ou d'usages (les langues).
3. Il est inutile de poursuivre la recherche : on en sait autant que ce que les livres écrits contiennent ("quels autres moyens que les livres pourraient nous y conduire ?"). Toute recherche ne pourrait que retrouver ces précédents résultats, - ou elle ne pourrait que se fourvoyer ("Et qui pourra rien ajouter de nouveau à ce qu'ils nous apprennent, puisqu'on ne veut savoir que ce qu'ils contiennent ?").
§ 9. L'exemple de la théologie : "Mais où cette autorité a la principale force, c'est dans la théologie").
1. Théologie et vérité. En théologie l'autorité est inséparable de la vérité ("elle [l'autorité] y est inséparable de la vérité").La théologie est sûre parce qu'elle est source de toute vérité : "nous ne la connaissons que par elle".
2. Comme les matières dont elle traite excèdent les forces de la raison humaine ("des matières les plus incompréhensibles à la raison" ; "l'esprit de l'homme étant trop faible"), comme les principes dont elle traite dépasse la nature ("ses principes sont au - dessus de la nature"), les livres comprennent l'essentiel de ce qui est à savoir ("il suffit de les faire voir dans les livres sacrés").
3. Les livres sacrés donnent le critère de ce qui est sûr et de ce qui est erroné ("pour donner la certitude entière des matières les plus incompréhensibles à la raison, il suffit de les faire voir dans les livres sacrés, comme, pour montrer l'incertitude des choses les plus vraisemblables, il faut seulement faire voir qu'elles n 'y sont pas comprises").
Ce qui est vraisemblable pour l'esprit humain ne pèse pas lourd face aux livres sacrés dans les matières de la théologie ("pour montrer l'incertitude des choses les plus vraisemblables").
4. Avec l'aide de la grâce, l'homme peut parvenir à se passer de la connaissance des livres ("il ne peut parvenir à ces hautes intelligences s'il n'y est porté par une force toute - puissante et surnaturelle").
Sans doute faudrait - il distinguer l'autorité des textes sacrés et l'autorité des textes des théologies.
2. . Les vérités de raison. (§§ 10 - 12).
§ 10. L'autorité de l'expérience et de la raison ("Il n'en est pas de même des sujets qui tombent sous le sens ou sous le raisonnement").
1. La raison est maîtresse : "l'autorité y est inutile". Elle constitue dans ces matières les connaissances ; les objets sur lesquels portent ses efforts sont à sa portée ("les sujets de cette sorte sont proportionnés à la portée de l'esprit")2. La raison a libre cours ("il trouve une liberté tout entière de s'y étendre").
3. Le progrès est alors possible ("sa fécondité inépuisable produit continuellement, et ses inventions peuvent être tout ensemble sans fin et sans interruption"). PASCAL a une conception optimiste de la puissance de la raison.
§ 11. PASCAL donne en exemple des sciences et des techniques : la géométrie, la musique, la physique, la médecine, l'architecture.
1. Ces disciplines font appel au raisonnement et à l'expérience : "toutes les sciences qui sont soumises à l'expérience et au raisonnement".2. La perfection est au terme de ces sciences et non pas à leur début : "doivent être augmentées pour devenir parfaites". L'autorité succédera donc aux raisonnements ; l'autorité est à venir, elle n'est pas déjà faite : "nous les laisserons à ceux qui viendront après nous en un état plus accompli que nous ne les avons reçues".
3. Les sciences sont d'abord et nécessairement des ébauches : "Les anciens les ont trouvées seulement ébauchées par ceux qui les ont précédés". PASCAL n'évoque pas la constitution des connaissances. Les Anciens eux - mêmes les trouvent.
§ 12. Les conditions du progrès.
1. Le progrès possible dans ces sciences dépendent : "du temps et de la peine". L'acquisition de ces sciences est donc personnelle.2. Les travaux des Anciens ne peuvent que seconder nous efforts. PASCAL ne ruine pas la prétention des écrits passés à nous éclairer.
3. La conception pascalienne du progrès : le progrès ne se fait pas contre les Anciens. La connaissance nouvelle n'est pas une destruction de la connaissance ancienne : "tous deux néanmoins joints ensemble doivent avoir plus d'effet que chacun en particulier".
3. Les conséquences de la confusion des domaines. (§ 13).
PASCAL dénonce : "cet abus qui pervertit l'ordre des sciences avec tant d'injustice", abus qui se méprenant sur ces deux domaines de vérités se trompe sur la méthode à employer pour apporter les preuves.
1. L'"aveuglement" et l'"horreur". Ceux qui recourent à l'autorité dans les sciences sont aveugles : ils ne voient pas que la seule autorité dans des domaines ne peut venir que "du raisonnement ou des expériences".Ceux qui recourent aux raisonnements dans l'ordre des vérités historiques suscitent de l'"horreur" pour leur "malice". Ils cherchent à mal faire. PASCAL ne retient guère que la théologie parmi les vérités historiques : le débat est de grande importance (il en va du salut de l'homme) ; il est d'actualité (le conflit des jansénistes de PORT - ROYAL et des jésuites est à son comble).
Rm.PASCAL n'évoque que l'autorité de l'Ecriture et des Pères. Il ne mentionne ni l'Eglise, ni les théologiens.
2. Le "courage des timides" et l'"insolence de ces téméraires". PASCAL navigue entre deux extrêmes : il faut "oser inventer en physique", et il faut condamner "ceux qui produisent des nouveautés en théologie".La raison ne peut pas absolument mais elle peut tout absolument dans le domaine qui est le sien.
3. "Le malheur du siècle" consiste dans la confusion préjudiciable des deux ordres de vérité, préjudiciable au salut de l'homme et préjudiciable aux sciences.
A. La théologie connaît la prospérité d'"opinions nouvelles" : elles sont nombreuses ("beaucoup d'opinions nouvelles") ; elles sont défendues avec opiniâtreté ("soutenues avec obstination") ; elles sont radicalement nouvelles ("inconnues à toute l'Antiquité") ; elles sont de plus bien reçues ("reçues avec applaudissement"). Leur nouveauté parle contre ces propositions ; PASCAL s'appuie ici sur l'autorité de la tradition.
Sans doute songe - t - il ici aux opinions nouvelles des casuistes, que les Provinciales dénoncent.
B. La physique connaît peu de progrès ("en petit nombre"). Encore sont - il mal reçus ("convaincues de fausseté") parce qu'ils vont à l'encontre, non pas même de la tradition, mais des : "opinions reçues". PASCAL songe peut - être au procès de GALILEE.
C. Ce faisant, on porte aux anciens philosophes (ARISTOTE est ici la référence) le respect qui devrait être réservé aux Pères les plus vénérables (AUGUSTIN). Chacun doit savoir quel respect il doit : le respect dû aux philosophes n'est pas de "devoir", le respect dû aux Pères n'est pas de "bienséance".
4. Le programme de la recherche : les "inventions nouvelles" sont toujours des erreurs en théologie ("infailliblement des erreurs") parce que la seule autorité possible est l'Ecriture connue depuis toujours ; elles sont "absolument nécessaires" en sciences parce que l'autorité est à venir, à établir par les expériences et les raisonnements.En théologie, la perfection est de tout temps et elle est donnée avec la révélation. En physique la perfection est à venir ("pour la perfection de tant d'autres sujets").
Il ne faut pas profaner la théologie ("dans les matières que l'on profane impunément") ; il ne faut pas davantage sacraliser le domaine des sciences ("d'autres sujets incomparablement plus bas").
Deuxième Partie. Pour la recherche libre en science. (§§ 14 - 18).
§ 14. Où être crédule, où être défiant ("Partageons avec plus de justice et notre défiance").
1. Le respect porté aux Anciens provient de leurs découvertes rationnelles. Il incombe donc à la raison de fixer le critère de ce respect ("Comme la raison le fait naître, elle doit aussi le mesurer")2. Nous ne respectons les Anciens que parce qu'ils n'ont pas indûment respecté leurs prédécesseurs : ils ne les ont pas sacralisé ; ils ont innové ("s'ils fussent demeurés dans cette retenue de n'oser rien ajouter aux connaissances qu'ils avaient reçues").
3. L'esprit d'une époque. Ils ont rencontré une époque qui a favorablement accueilli leurs découvertes ("ceux de leur temps eussent fait la même difficulté de recevoir les nouveautés qu'ils offraient"). En un sens, les découvertes sont les enfants d'une rencontre entre un savant ingénieux et d'une époque ouverte.
§ 15. "Heureuse hardiesse".
1. Les Anciens physiciens ont considéré comme des matériaux pour leurs propres entreprises les résultats des physiciens antérieurs ("Comme ils ne sont servis que de celles qui leur avaient été laissées que comme de moyens pour en avoir de nouvelles").2. De même, nous devons suivre leur exemple ("et à leur exemple") et considérer leurs travaux comme des matériaux ("en faire les moyens et non pas la fin") pour notre propre enquête scientifique ("nous devons prendre celles qu'ils nous ont acquises de la même sorte").
3. "tâcher de les surpasser en les imitant". Les Anciens donnent l'exemple : nous irons plus loin qu'eux dans la découverte de la vérité si nous empruntons la démarche qui fut la leur.
§ 16. Respecter les Anciens c'est leur manquer de respect. C'est leur porter ce respect sacralisant qui ne doit porter que sur les choses sacrées.
Sacraliser les Anciens, c'est leur manquer de justice ("Car qu'y a t - il de plus injuste que de traiter les Anciens avec plus de retenue"). Nous ne les respectons précisément que parce qu'ils ont manqué de respect, de ce même respect sacralisant, ceux qui les ont précédé ("ce respect inviolable qu'ils n'ont mérité de nous que parce qu'ils n'en ont pas eu un pareil pour ceux qui ont eu sur eux le même avantage").
Nous ne respectons les Anciens que parce qu'ils ont su rompre avec la Tradition.
§ 17. "Les secrets de la nature sont cachés".
1. La nature a des "secrets" et non pas des mystères. Elle garde par devers elle des lois que l'esprit humain peut pénétrer.2. Si les principes de la nature restent encore cachés, ils s'exercent à chaque époque ("quoiqu'elle agisse toujours").
3. Les effets de la nature se développent au cours du temps. Il y a une historicité, sinon de la nature ("quoique toujours égale à elle - même"), du moins des phénomènes qui découlent des principes de la nature ("elle n'est pas toujours également connue").
Ainsi, les trajectoires des comètes suivent des lois invariables quoique la visibilité de telle comète dépende du moment où se trouve l'observateur.
Egale à elle - même, elle se révèle progressivement aux savants. Mais ne peut - on pas dire cela aussi de la divinité ?
§ 18. Les expériences nouvelles de la physique instruisent davantage des principes de la nature.
Troisième Partie. Pour la raison. (§§ 19 - 21).
1. La conception pascalienne du progrès. (§ 19).
Comment il faut accepter les découvertes des Anciens ("sans mépris et sans ingratitude").
1. Ils nous ont apporté des matériaux pour entreprendre notre propre recherche ("les premières connaissances qu'ils nous ont données ont servi de degrés aux nôtres"). Il faut leur être reconnaissant de leur découverte sans les considérer comme définitives.2. L'"ascendant que nous avons sur eux" nous est donné par les Anciens eux - mêmes : nous disposons et de leurs découvertes et des nôtres propres. De la sorte, nous somme plus savants qu'eux ("nous voyons plus qu'eux"), et cela grâce à eux ("parce que, s'étant élevés jusqu'à un certain degré où ils nous ont portés, le moindre effort nous fait monter plus haut").
3. Toute découverte, aussi infime soit elle, nous fait savoir davantage que ce qu'eux - mêmes savaient ("le moindre effort nous fait monter plus haut"). Inversement, nous avons bien moins de mérite et de gloire qu'eux : nos travaux leur sont redevables ; ils ont su trouver les principes desquels nos découvertes procèdent ("et avec moins de peine et moins de gloire nous nous trouvons au -- dessus d'eux").
PASCAL a une conception continuiste du progrès : il se fait par accumulations et non pas par ruptures.
§ 20. "Un crime". et "un attentat". La vénération des Anciens est une forme de manque de respect : "on révère leurs sentiments". Mais ils n'ont pas tout découvert : leurs inventions doivent nous servir pour en trouver d'autres ("comme s'ils n'avaient plus laissé de vérités à connaître").
2. Plaidoyer pour la raison. (§ 21).
Si la nature est égale à elle - même, la raison de l'homme est perfectible : "N'est - ce pas indignement traiter la raison de l'homme..."
1°. Instinct et raison.
A. Egalité et progression. "L'instinct demeure toujours dans un état égal" ; "les effets du raisonnement augmentent sans cesse" . La raison restant la même peut cependant conduire de nouveaux raisonnements.
B. Caractères des productions instinctives . Les productions instinctives sont :
éternelles ("Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu'aujourd'hui"),identiques ("chacune d'elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière"),
commandées par la nature ("La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse"),
immuables ("science nécessaire, toujours égale") parce qu'elles sont parfaites ("aussi exactement").
Les animaux la reçoivent ("ils la reçoivent sans étude"), sans pouvoir la conserver ("ils n'ont pas le bonheur de la conserver") ni la transmettre ("cette science fragile se perd") : ils ne peuvent pas l'augmenter ("toutes les fois qu'elle leur est donnée, elle leur est nouvelle").
L'instinct est subordonné à un plan de la nature : les animaux doivent survivre ("de peur qu'ils ne tombent dans le dépérissement"), sans pouvoir dépasser leur espèce ("la nature n'ayant pour objet que de les maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée" ; "de peur qu'ils ne passent les limites qu'elle leur a prescrites").
2°. L'homme.
Il est conçu pour le progrès indéfini ("Il n'en est pas de même de l'homme, qui n'est produit que pour l'infinité").
Il naît dans l'ignorance ("Il est dans l'ignorance au premier âge de sa vie"). De ce fait il peut progresser en tant qu'individu ("il tire avantage non seulement de sa propre expérience") et en tant qu'espèce ("mais encore de celle de ses prédécesseurs"). Sa raison est secondée par sa mémoire : "il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu'il s'est une fois acquise, et que celles des Anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu'ils en ont laissé".
3°. Conditions du progrès.
A. L'augmentation de la mémoire, et le vieillissement prématuré ("à mesure que l'univers vieillit"), par des moyens artificiels chez l'individu comme dans l'espèce ("tous les hommes ensemble y font un continuel progrès") sont la première condition du progrès ("comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement").
L'écriture et la publication tiennent une place majeure dan le progrès de l'espèce humaine. L'écriture devient l'équivalent pour l'espèce de ce qu'est la mémoire pour l'individu : "les hommes sont aujourd'hui en quelque sorte dans le même état où se trouveraient ces anciens philosophes, s'ils pouvaient avoir vieilli jusqu'à présent".
PASCAL ne partage pas le scepticisme socratique du Phèdre à l'égard de l'écriture. L'écriture est une seconde vieillesse pour la génération nouvelle ; elle fait démentir le dicton ("Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait").
B. L'égalité de la nature ("la même chose arrive dans la succession des hommes") et le perfectionnement des connaissances à travers les âges sont une seconde condition. L'humanité est comme un seul et même homme qui apprend chaque jour davantage : "De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tous les siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement".
PASCAL a une conception continuiste et cumulative du progrès ("et qui apprend continuellement").
ROUSSEAU évoquer la perfectibilité de l'homme :
" Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu'elle était la première année de ces mille ans",
ROUSSEAU. Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes. I ère Partie3.
4°. Le respect des Anciens.
A. PASCAL définit la vieillesse comme l'âge le plus éloigné de l'enfance ("la vieillesse est l'âge le plus distant de l'enfance"). De sorte qu'il distingue la vieillesse selon l'ordre du temps et la vieillesse selon l'ordre des définitions.
B. La vieillesse de l'"homme universel" se trouve chez les contemporains : "qui ne voit que la vieillesse dans cet homme universel ne doit pas être cherchée dans les temps proches de sa naissance, mais dans ceux qui en sont le plus éloignés ?".
Les plus jeunes sont en réalité les Anciens : "Ceux que nous appelons Anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses, et formaient l'enfance des hommes proprement".
Les vrais Anciens sont en réalité les plus jeunes : "c'est en nous que l'on peut trouver cette Antiquité que nous révérons dans les autres".
C. La justification de l'interversion de l'ordre des temps est donnée par le nombre des connaissances trouvées depuis : "nous avons joint à leurs connaissances l'expérience des siècles qui les ont suivis".
Rm. Le même thème se trouve chez MONTAIGNE :
"Et n'est enfant des classes moyennes qui ne se puisse dire plus savant que moi, qui n'ai seulement pas de quoi l'examiner sur sa première leçon, au moins selon icelle"
MONTAIGNE. Essais. Chapitre XXVI "De l'institution des enfants"3 .
Quatrième Partie. Quel respect pour les Anciens ? (§§ 22 - 26).
§ 22. Pourquoi respecter les Anciens ? Leurs conclusions sont admirables : sans disposer de suffisamment de connaissances ("Ils doivent être admirés dans les conséquences qu'ils ont bien tirées du peu de principes qu'ils avaient") ou d'expériences ("ils ont plutôt manqué du bonheur de l'expérience"), leurs raisonnements sont tombés justes ("la force du raisonnement").
Des expérimentations déficientes expliquent la faiblesse de certains raisonnements.
§ 23 - 24. L'exemple de la voie lactée. Les Anciens astronomes ont raisonné juste en soutenant la solidité de cet ensemble d'étoiles.
Mais leurs raisonnements ("ils ont attribué cette couleur à une plus grande solidité en cette partie du ciel") reposaient sur des données de l'observation incomplètes ("la faiblesse de leurs yeux n'ayant pas encore reçu le secours de l'artifice").
Mais nous, nous commettrions une plus grande erreur en accordant du crédit aux anciennes conceptions ("Mais ne serions - nous pas inexcusables de demeurer dans la même pensée"), nous qui possédons des moyens d'observation plus précis ("maintenant qu'aidés des avantages que nous donne la lunette d'approche").
L'observation que nous faisons doit prévaloir sur le respect sacralisant des thèses d'autrefois ("nous y avons découvert une infinité de petites étoiles"). L'observation cependant ne suffit pas ; il a fallu raisonner ("la splendeur plus abondante nous a fait reconnaître qu'elle est la véritable cause de cette blancheur").
§§ 25 - 26. La corruption des corps sublunaires. Après avoir relevé l'absurdité des thèses mythologiques, PASCAL s'attaque à la conception aristotélicienne du monde.
Ce qui a porté les Anciens à n'attribuer de corruption qu'au monde sublunaire, c'est l'absence d'observations ("ils n'avaient point encore remarqué de corruptions ni de générations hors de cet espace").
Nous pouvons conclure à la corruption des corps supra - lunaires ("Mais ne devons -nous pas assurer le contraire") parce que nous avons observé de tels phénomènes ("toute la terre a vu sensiblement les comètes s'enflammer et disparaître bien loin au - delà de cette sphère"). La généralité de l'observation suffit à l'emporter sur l'unanimité des ouvrages savants des siècles passés.
Cinquième Partie. Le vide. (§§ 27 - 28).
§ 27. Les Anciens ne pouvaient pas ne pas se tromper en raisonnant justes : "ils avaient droit de dire que la nature n'en souffrait point". Raisonnant juste, ils se trompaient faute de disposer des moyens de l'expérience dont nous disposons : "toutes leurs expériences leur avaient toujours fait remarquer qu'elle l'abhorrait et ne le pouvait souffrir".
1. S'ils avaient pu disposer de nos expériences, ils auraient soutenu l'existence du vide : "Mais si les nouvelles expériences leur avaient été connues, peut - être auraient - ils trouvé sujet d'affirmer ce qu'il ont eu sujet de nier". Une réserve est ici introduite : le raisonnement aurait pu démentir ce que l'expérimentation assure ("peut - être auraient - ils trouvé").2. La portée exacte de l'affirmation des Anciens sur le vide est mesurée par les observations ou d'expérimentations qu'ils ont pu faire ("ils n'ont entendu parler de la nature qu'en l'état où ils la connaissaient") comme par leur nombre ("ce ne serait assez de l'avoir vu constamment en cent rencontres, ni en mille, ni en tout autre nombre, quelque grand qu'il soit").
3. La question de l'induction dans les matières de fait ("dans toutes les matières dont la preuve consiste en expériences et non en démonstrations"). Un contre - exemple suffit à invalider une thèse : "s'il restait un seul cas à examiner, ce seul cas suffirait pour empêcher la définition générale, et un seul était contraire, ce seul...").
Quelle est donc la valeur d'une loi scientifique ? Quelle est la portée d'une loi scientifique ? : "dans toutes les matières dont la preuve consiste en expériences et non en démonstrations, on ne peut faire aucune assertion universelle que par la générale énumération de toutes les parties ou de tous les cas différents".
Une loi est - elle davantage qu'une généralisation de l'observation ?
4. PASCAL donne deux exemples : la dureté du diamant, le poids de l'or. On ne peut soutenir cette propriété que : "de tous les corps que nous connaissons".
§ 29. Les Anciens ne pouvaient contester l'existence du vide que : "dans les expériences qu'ils avaient vues". S'ils avaient pu entreprendre les mêmes expériences que nous, ils auraient été amenés aux mêmes conclusions : "sans doute ils auraient tiré les mêmes conséquences que nous".
C'est seulement s'ils avaient affirmé l'existence du vide qu'ils auraient été vraiment pour nous les Anciens ("les auraient par leur aveu autorisées à cette Antiquité dont on veut faire aujourd'hui l'unique principe des sciences").
L'Antiquité est donc la vénération portée à la vérité. Elle ne correspond pas à l'ordre chronologique.
Conclusion. Antiquité et vérité. (§ 30).
La vérité seule est antique : l'ordre du temps ne fonde pas l'ordre des valeurs à respecter ("quelque force qu'ait cette Antiquité, la vérité doit toujours avoir l'avantage, quoique nouvellement découverte").
Il faut distinguer l'ordre temporel de la découverte de la vérité de l'ordre des autorités en matière de vérité : "ce serait ignorer sa nature de s'imaginer qu'elle ait commencé d'être au temps qu'elle a commencé d'être connue".
La vérité est plus ancienne que les opinions ("elle est toujours plus ancienne que toutes les opinions qu'on en a eues"). La vérité est toujours antique en ce sens.