"Penser par soi - même".

 

"Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les eut affranchis de puis longtemps d'une conduite étrangère (naturaliter majorem), restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle ; et qui font qu'il est si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs. il est si commode d'être sous tutelle. Si j'ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire, etc., je n'ai alors pas moi - même à fournir d'efforts. il ne m'est pas nécessaire de penser dès lors que je peux payer ; d'autres assumeront bien à ma place cette fastidieuse besogne".
Emmanuel KANT. Réponse à la question : Qu'est - ce que les Lumières ?1

 

Nul ne peut penser à notre place ; nul ne peut se substituer à nous quand il s'agit de penser. Cependant tous s'empressent : l'homme politique pense pour nous et décrète ce qu'est le bien de l'Etat ; l'homme de la publicité pense pour nous et décide pour nous quels sont nos besoins et quels sont les moyens de les satisfaire ; l'opinion publique pense pour nous et dit ce qu'il faut penser d'un homme ou d'un livre. Ainsi, d'autres prétendent penser pour nous et nous - mêmes nous pensons parfois sans le savoir et sans le vouloir comme d'autres. "Penser par soi - même", selon KANT, est une maxime2 : elle prescrit une tâche, - celle d'être le maître de sa pensée et de se rendre le maître du cours de ses pensées. "Penser par soi - même" formule un programme. Programme paradoxal toutefois puisque si nous sommes d'emblée capables de penser par nous - même, à quoi bon le réclamer ? et s'il nous faut apprendre à penser par nous - même, ne sommes - nous pas dépendants de la pensée d'autrui ?

Ainsi, pouvons - nous, et comment, acquérir l'autonomie de notre pensée ?

 


I. Les obstacles à l'exercice personnel et autonome de la pensée.

 

PLATON (428 - 348) définit la pensée comme : "(...) un entretien de l'âme avec elle - même, se produisant au - dedans de celle - ci sans le concours de la voix (...)"3 . Penser, c'est donc se parler, dialoguer avec soi - même. Mais ce serait oublier que nous apprenons à parler, et que nous l'apprenons d'autrui.

 

1. L'enfance.

L'enfance est le premier obstacle à l'exercice de la pensée autonome. Nous sommes tous les fruits d'une éducation que nous n'avons pas choisie ni décidée.

 

- 1. L'état premier de l'homme. L'enfant c'est l'infans : celui qui ne parle pas, - et ainsi, conformément à la définition de PLATON, celui qui ne pense pas. L'homme ne naît pas comme la déesse MINERVE de la cuisse de Jupiter : tout armée. L'homme ne naît pas avec, déjà formée et développée, la capacité de raisonner.

 

- 2. La nécessité d'une éducation. L'éducation est nécessaire pour apprendre à l'homme l'usage autonome de sa pensée. Mais cette éducation peut elle - même être maîtresse d'erreurs et de faussetés :

"(...) pour ce que nous avons tous été enfants avant que d'être hommes, et qu'il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires les uns aux autres, et qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut - être pas toujours le meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient si purs ni si solides qu'ils auraient si nous avions eu l'usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n'eussions jamais été conduits que par elle"
R. DESCARTES (1596 - 1650). Discours de la méthode. II4 .

 

Commentaire :

1. L'enfance est un moment à la fois inévitable et irréversible : ce qui est fait peut difficilement être défait.

2. L'enfance est le moment de la dépendance : dépendance à l'égard du corps, dépendance à l'égard des précepteurs.

3. Les désirs et les précepteurs se contredisent : ils ne sont pas fiables parce qu'ils ne sont pas stables.

4. Les désirs et les précepteurs ne disent pas le meilleur mais le plus plaisant (les désirs) ou le plus conforme aux idées reçues (les précepteurs).

 

- 3. L'exercice de la raison a une histoire. Nous naissons d'abord dépendants et soumis. C'est l'origine des préjugés. Le préjugé est le jugement porté avant, et même sans; la connaissance de ce sur quoi porte le jugement.

Exemple : l'enfant partage longtemps les avis de ses parents.

 

2. L'opinion.

L'opinion est le second obstacle à l'exercice autonome de la pensée.

 

- 1. L'opinion. Comment la définir ?

"L'opinion est une croyance qui a conscience d'être insuffisante aussi bien subjectivement qu'objectivement"
E. KANT (1724 - 1804). Critique de la raison pure5 .

 

Exemple : l'opinion sur la valeur d'un roman.

Rm. Le professeur de mathématiques ne demande pas une opinion sur la solution d'une équation, mais il demande une démonstration.

 

- 2. Opinion et savoir. Avoir une opinion ce n'est pas savoir. Ainsi PLATON, dans Ménon 97 a - c, distingue l'opinion qui peut être tantôt vraie tantôt fausse, l'opinion vraie qui se trouve être vrai, le savoir qui est toujours vrai, qui est transmissible et démontrable.

 

- 3. L'opinion, connaissance reçue. L'opinion désigne aussi la soi - disant connaissance que nous recevons des autres.

Cette connaissance, SPINOZA (1632 - 1677), la nomme connaissance par ouïe - dire6 . La connaissance par ouïe - dire peut être fausse.

Exemple : je ne peux connaître que par ouïe - dire le jour de ma naissance.

"Ainsi, l'opinion est comme la reine du monde, mais la force en est le tyran"
B. PASCAL (1623 - 1662). Pensées. B 3117 .

 

En suivant l'opinion, je ne pense pas par moi - même, je pense avec les autres, - comme les autres.

 

3. Les facultés non rationnelles de l'homme.

Nous ne pensons pas par nous - mêmes quand nous nous fions à des facultés qui pourtant sont nôtres, mais qui ne sont pas des facultés de connaissance.

 

- 1. La sensation. L'enfant pense comme il sent ; l'enfant pense comme il perçoit par les sens.

Exemple : l'enfant estimera que le soleil est aussi grand qu'il lui paraît.

 

A. La sensation est une connaissance de l'individuel.

"(...) celui qui connaît quelque chose perçoit ce qu'il connaît (...) la connaissance n'est pas autre chose que la sensation"

PLATON. Théétète. 151 e8 .

B. Mais elle est une connaissance incertaine : les illusions des sens (le bâton brisé ; la figure de MULLER - LYER où le point M cesse d'apparaître au milieu d'une ligne horizontale).

C. Les raisons de cette incertitude : la sensation renseigne sur la manière dont le corps est affecté, - non sur l'objet lui - même ; elle renseigne sur la présence, l'existence, d'un objet mais non sur sa nature ; sa connaissance est limitée à un moment et à un certain espace.

 

- 2. L'imagination. L'éducation ait large place aux fictions (les contes ; les mythes) et aux exemples pour l'éducation morale des enfants.

"Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu'il ne faut, s'il y a au - dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n'en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer"
PASCAL. Pensées. B 829 .

De même, les costumes des juges, des médecins s'adressent à l'imagination.

 

- 3. Les passions. Chacun ne tient pour vrai que ce qui confirme et flatte les passions.

Exemple : la difficulté de détromper BELISE :

"Je vois où doucement veut aller la demande,

Et je sais sous ce nom ce qu'il faut que j'entende (...)"

MOLIERE. Les Femmes savantes. I, 4, v. 303 - 304.

 

Conclusion. Dépendance à l'égard de son histoire, à l'égard du monde extérieur comme à l'égard du monde intérieur, tout cela met chacun de nous dans un état d'hétéronomie. Nous commençons par penser moins par nous - mêmes que par autrui.

"La première maxime [Penser par soi - même] est la maxime de la pensée sans préjugés (...) celle d'une raison qui n'est jamais passive"
KANT. Critique de la faculté de juger. § 4010 .

 

Transition. Comment acquérir cet exercice personnel de la pensée ?

 


II. Les moyens de recouvrer l'autonomie de la pensée.

 

1. Le temps et le lieu.

Comme il y a un âge de sujétion de la pensée, il y a un âge propre à l'exercice autonome de la pensée : l'adolescence.

 

- 1. Un moment privilégié. L'adolescence est le moment où peut être développé l'exercice de la raison.

A. Des connaissances ont été acquises dans les classes antérieures. Certains préjugés ont été supprimés.

B. La personnalité est constituée et la citoyenneté va être acquise. Des responsabilités nouvelles vont être exercées qui demandent une pensée personnelle.

C. Il y a encore un certain détachement et un dégagement à l'égard des soucis professionnels comme des soucis pécuniaires. Cela garantit une autonomie dans la conduite de la réflexion.

 

- 2. La place de l'école. L'école est étymologiquement : scolh, le loisir. L'école est le lieu qui permet le mieux l'exercice de cette pensée autonome.

 

"(...) Publius Scipion, appelé le premier africain, avait coutume de dire, au rapport de Caton (...) qu'il n'avait jamais moins de loisir que quand il était de loisir et n'était jamais moins seul que quand il était seul : paroles bien belles et dignes d'un homme grand et sage ; elles veulent dire que, dans le loisir, il pensait aux affaires et que dans la solitude, il était habitué à s'entretenir avec lui - même, si bien qu'il ne s'arrêtait jamais et savait parfois se passer de la conversation avec autrui ; et ainsi que le loisir et la solitude, ces deux choses qui rendent tout le monde paresseux, ne faisaient que lui aiguiser l'esprit"
CICERON (106 - 43). Traité des devoirs. III, (1)11 .

A. L'école est un temps non productif et un temps soustrait aux exigences de la vie économique.

B. L'école est le temps de l'essai, de la possibilité de recommencer. Une chance est toujours laissée ; les sanctions ne sont jamais irrémédiables.

C. L'école est un lieu à part. Elle est séparée de la ville et de la vie ordinaire. Elle a ses rituels : les horaires ; les règles de vie commune. Elle a une discipline : ordre et calme propres à la réflexion.

Rm 1. Pourquoi apprendre assis ? - le péripatétisme transmettait au cours de déambulations les connaissances du Lycée.

Rm 2. Pourquoi les chaises du lycée sont - elles dures ?

 

Question : peut opposer et en quel sens école et vie active ?

- L'école est un lieu de préparation, de réflexion, de méditation. Mais cela aussi n'est - ce pas agir ?

 

- 3. Réserve. L'école est peut - être un lieu non seulement séparé, mais aussi un lieu détaché où sont réunies des conditions comparables à d'un laboratoire où seuls sont retenus les paramètres à observer.

 

2. L'enseignement.

Puisque l'opinion maintient dans l'hétéronomie, il s'agit de substituer à l l'opinion des connaissances

 

- 1. Les Lumières. C'est le moyen selon KANT de supprimer les superstitions qui sont les conséquences de la passivité de la raison :

"Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui - même responsable"
KANT. Qu'est - ce que les Lumières?12 .

Pour penser par soi - même, pour réfléchir et ainsi pour décider, il faut disposer de connaissances. L'ignorant ne pense pas par lui - même ; il ne peut penser que par autrui.

Exemple : comment choisir si l'on ne connaît pas les constituants de ce produit ?

 

- 2. Enseignement et minorité. Mais l'enseignement peut prolonger la minorité. Une forme d'enseignement, sinon consiste en, du moins aboutit à, faire répéter à l'élève des connaissances acquises mais non comprises. C'est ce que croit AGATHON dans Le banquet.

"Quelle bonne affaire ce serait, Agathon, dit Socrate en s'asseyant, si la sagesse était chose de telle sorte que de celui de nous qui est plus plein elle coulât dans celui qui est plus vide, à condition que nous soyons en contact l'un avec l'autre (...)"
PLATON. Le Banquet. 175 d13.

 

3. L'usage de la raison.

Si l'usage de la sensation, de l'imagination ou si la force des passions subjuguent notre pouvoir de penser, l'usage de la raison seul nous permettre de penser par nous même.

On évoque l'âge de raison qui est l'âge non pas où la raison apparaît, mais l'âge où chacun peut faire appel à sa raison, sans écouter les autres seulement.

 

- 1. La capacité de s'étonner. Penser par soi - même commence avec l'interrogation sur les faits extérieurs et sur leur nature : "pourquoi est - ce ainsi ?".

La question métaphysique selon LEIBNIZ (1646 - 1716) est :

"Pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ?"
LEIBNIZ. Principes de la nature et de la grâce fondés en raison. § 714 .

La philosophie selon la généalogie de PLATON est fille de THAUMAS :

"Car cet état, qui consiste à s'émerveiller, est tout à fait d'un philosophe ; la philosophie en effet ne débute pas autrement, et il semble, bien ne s'être pas trompé sur la généalogie, celui qui dit qu'Iris est la fille de Thaumas"
PLATON. Théétète. 155 d15 .

 

- 2. La capacité de comprendre. Penser par soi - même, c'est pouvoir comprendre. Comprendre, c'est comprendre qu'il n'y pas de faits isolés, mais qu'il y a des lois qui relient ces faits.

Exemple : la découverte du principe d'inertie par le petit Richard FEYNMAN, futur physicien16.

 

- 3. Pensée et relation. La pensée est la capacité de trouver ou de construire des relations : des raisonnements, des lois.

 

Conclusion. L'âge d'adolescence, l'enseignement et l'usage de la raison sont des conditions nécessaires mais non des conditions suffisantes pour penser par soi - même : l'école peut être un lieu détaché ; l'enseignement peut être bourrage de crânes et l'usage de la raison suppose un guide donc l'aide d'autrui. Une aide extérieure est à chaque fois requise : l'école, le maître, les parents.

 

Transition : On nous apprend donc à penser par nous - même. N'est - ce pas là une contradiction ? et comment la lever ?

 

 


III. "Penser par soi - même".

 

Comment réaliser le programme que contient cette maxime ?

 

1. L'examen personnel.

DESCARTES propose un exemple pour le moyen de parvenir à l'autonomie de l'exercice de la pensée.

"(...) je ne pouvais choisir personne dont les opinions me semblassent devoir être préférées à celles des autres, et je me trouvai comme contraint d'entreprendre moi - même de me conduire"
R. DESCARTES. Discours de la méthode. II17 .

 

- 1. La réforme des pensées. La première étape est la réforme des pensées.

"(...) il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements (...)"
DESCARTES. Méditations Métaphysiques. I18 .

A. Cette résolution est issue d'une déception,- celle dont la première partie du Discours de la méthode est le récit.

B. Des conditions sont pour cela requises : des conditions extérieures (le repos ; la solitude) ; des conditions intérieures (l'âge).

C. Une méthode : le doute.

"(...) je m'appliquerai sérieusement et avec liberté à détruire généralement toutes mes anciennes opinions"

DESCARTES. Méditations Métaphysiques. I19 .

Commentaire.

1. Il s'agit d'une résolution ("je m'appliquerai"). Le doute est volontaire ; il n'est pas imposé par les circonstances.

2. Il ne s'agit pas d'un jeu ("sérieusement").

3. L'entreprise est indépendante ("et avec liberté").

4. Le doute est général ("généralement").

5. Le but le plus proche est la révocation des opinions qui ne sont pas des connaissances : "à détruire généralement toutes mes anciennes opinions". Le but le plus lointain est la conservation des connaissances : des opinions qui résistent à l'épreuve du doute.

 

- 2. La mise en ordre des pensées. Tout ce qui a été appris et transmis dans un ordre fortuit (le hasard des programmes, des modes, des connaissances d'une époque, des circonstances) doit et peut être unifié. Il faut donner forme à des connaissances glanées de - ci de - là au hasard des circonstances de la vie. DESCARTES propose pour cette tâche une image : l'arbre de la philosophie.

"Ainsi la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir, la médecine, la mécanique et la morale (...)"
DESCARTES. Principes. Préface20 .

 

2. L'exercice.

"C'est en forgeant que l'on devient forgeron", - dit - on. Il en va de même pour l'exercice de la pensée.

 

- 1. L'exécution. Il s'agit de faire et de faire soi - même. Tels sont les buts de la dissertation ou des essais.

 

- 2. L'étude. L'exécution doit être réglée par l'étude. L'apprenti suit le geste qu'il va faire après : c'est le même geste mais adapté à sa musculature, à sa force, à son habileté et à ses souhaits. Tels sont les buts de la lecture des auteurs. Il ne s'agit pas d'apprendre par coeur des philosophies, ou des résultats. Il faut exercer sa sagacité.

Exemple : Face à un texte, il s'agit de se demander : Que veut - il démontrer ? Comment démontre - t - il ? (Quelles raisons sont avancées ? Quelle est la forme du texte ? - dialogue, aphorisme, fragment, traité, discours ...). Quels procédés rhétoriques sont mis en oeuvre ? (métaphore, allégorie, prosopopée21 ...).

 

- 3. L'exécution est guidée. La place du professeur est celle de qui redresse, et non celle de qui dresse. Pourtant, n'est - ce pas rester sous la tutelle des maîtres ?

 

Rm . Il faut distinguer dresser et éduquer.

 

3. La maïeutique et les leçons de la réminiscence.

 

- 1. La figure de Socrate. Il s'agit bien d'une figure car il s'agit de retenir ce qu'il y a d'exemplaire dans la personne de SOCRATE.

A. Sa vie. SOCRATE (469 - 399) est connu par PLATON, par XENOPHON (Apologie de Socrate ; Mémorables), et par DIOGENE LAERCE (IIIe s. après J. C.).

 

B. Sa manière de vivre ou sa méthode philosophique. L'oracle de Delphes, consulté par son ami CHEREPHON, aurait signifié que nul homme n'est plus sage que SOCRATE22 .

"Que peut bien vouloir dire le Dieu ? Quel sens peut bien avoir cette énigme ? Car enfin je n'ai, ni peu, ni prou, conscience en mon for intérieur d'être un sage  ! Que veut - il donc dire en déclarant que je suis le plus sage des hommes ? Bien sûr, en effet il ne ment pas, car cela ne lui est pas permis"

PLATON. Apologie de Socrate. 21 b23 .

 

- 2. Les leçons de la réminiscence. La réminiscence lève la contradiction entre l'exercice autonome de la pensée et la nécessaire préparation à cet exercice.

A. Penser par soi - même, c'est puiser dans son propre fonds et ne se fier ni aux apparences ni au témoignage des autres.

Exemple : le petit esclave du Ménon trouve la solution du problème de la duplication de la surface d'un carré donné28 . Or, chacun peut faire cette expérience :

"Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée (...)"
DESCARTES. Discours de la méthode. I29.

B. Pour penser par soi - même, il ne s'agit pas d'être instruit par quelqu'un d'autre mais il s'agit d'être incité à penser.

Exemple : les interlocuteurs privilégiés de SOCRATE sont souvent des adolescents : CHARMIDE, le jeune ALCIBIADE, LYSIS et MENEXENE, THEETETE.

"(...) ce qui en outre est clair comme le jour, c'est que de moi ils n'ont jamais rien appris, mais que c'est de leur propre fonds qu'ils ont, personnellement, fait bon nombre de belles découvertes, par eux - mêmes enfantées"
PLATON. Théétète. 150 d.

C. Education et érotisme. Sur l'érotisme de SOCRATE (PLATON. Le Banquet).

 


Conclusion. Penser par soi - même désigne moins l'exercice personnel et solitaire que l'exercice autonome de sa propre pensée : n'être soumis à aucune contrainte ni celle des puissants ou de de la foule, ni celle des désirs. L'exercice personnel et autonome de la pensée n'empêche pas qu'en pensant par soi - même on ne puisse aussi être d'accord avec autrui. Mais cet accord se fait au terme d'un dialogue où les raisons sont échangées : l'accord est obtenu ; il n'est jamais imposé. C'est pourquoi le dialogue peut être le moyen le plus sûr et de penser par soi - même, - la présence critique mais bienveillante d'autrui nous oblige à nous défaire des erreurs que nous reconnaissons - et de s'accorder avec autrui : l'exercice autonome de la pensée ayant lieu dans un examen commun.


  1. Cf. KANT (1991), p. 43.
  2. Cf. KANT (1984), § 40, p. 127.
  3. Cf. PLATON. Sophiste. 263 e in PLATON (1950, II), p. 330. Cf. : "Une conversation que l'âme poursuit avec elle - même sur ce qui est éventuellement l'objet de son examen", PLATON. Théétète. 189 e in PLATON (1950, II), p. 158.
  4. Cf. DESCARTES (1953), p. 133 - 134.
  5. Cf. KANT (1975), p. 552.
  6. Cf. SPINOZA. Traité de la réforme de l'entendement. §§ 11, 15, 22.
  7. Cf. PASCAL (1976), p. 139. Cf. PASCAL (1976), B 82, p. 75.
  8. Cf. PLATON (1950, II), p. 97.
  9. Cf. PASCAL (1976), p. 74.
  10. Cf. KANT (1984), p. 127.
  11. Cf. CICERON in SCHUHL (1962), p. 587.
  12. Cf. KANT (1991), p. 43.
  13. Cf. PLATON (1950, I), p. 697.
  14. Cf. LEIBNIZ in DUROZOI, HUISMAN (1985), p. 259.
  15. Cf. PLATON (1950, II), p. 103.
  16. Cf. FEYNMAN (1980), p. 218.
  17. Cf. DESCARTES (1953), p. 136.
  18. Cf. DESCARTES (1953), p. 267.
  19. Cf. DESCARTES (1953), p. 267.
  20. Cf. DESCARTES (1953), p. 566.
  21. Cf. PLATON. Criton. 50 a sq ; ROUSSEAU. Discours sur les sciences et les arts. I, in ROUSSEAU (1971),p. 45 - 46.
  22. Cf. PLATON. Apologie de Socrate. 20 e - 21 a.
  23. Cf. PLATON (1950, I), p. 153.
  24. Cf. PLATON. Théétète. 148 e - 151 d.
  25. Cf. : "Ainsi donc je ne suis précisément savant en rien (...)", PLATON. Théétète.150 d.
  26. Cf. PLATON. Ménon. 82 a sq.
  27. Cf. PLATON. Ménon. 81 b - e ; Phèdre. 246 d sq.
  28. Cf. PLATON. Ménon. 82 d - 85 b.
  29. Cf. DESCARTES (1953), p. 126.


 

 

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