ART ET NATURE

 

Nicolas de Stael. Agrigente. (Musée de Grenoble) 

 

"Quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux"

Blaise PASCAL. Pensées. B 1341 .

 


A. Commentaire.

 

1. La peinture est une imitation de la réalité : "ressemblance" ; "originaux". La peinture établit un rapport de ressemblance entre les objets réels et les objets sur la toile.

2. La peinture est : vanité, c'est - à - dire qu'elle est outrecuidance mais aussi qu'elle est inanité.

3. La peinture est un divertissement : elle nous détourne de la réalité pour nous faire contempler et admirer des copies.

 


B. Les conséquences.

 

1. L'art est - il une imitation de la nature ?

- 1. Ce que l'art imite quand on dit de lui qu'il imite la nature.

A. L'art imite le processus de production de la nature. Mais ils ne produisent pas de la même façon :

"En droit on ne devrait appeler art que la production par liberté, c'est - à - dire par un libre arbitre (...), qui met la raison au fondement de ses actions"

Emmanuel KANT. Critique de la faculté de juger. § 432 .

RM. Selon ARISTOTE : "La nature doit donc être considérée comme un principe et une cause de mouvement et de repos, pour l'être où ce principe est primitivement, en soi et non pas par simple accident"

ARISTOTE. Physique. II, 1, 192 b3 .

B. L'art imite les objets produits par la nature.

"C'est ainsi que ZEUXIS peignait des raisins qui avaient une apparence tellement naturelle que des pigeons s'y trompaient et venaient les picorer, et PRAXEAS peignit un rideau qui trompa un homme"

HEGEL. Esthétique. I4 .

L'art redouble la nature ; il la représente : il la rend présente un seconde fois sur la toile.

- 2. L'art ne peut pas imiter la nature.

A. Cette activité est inutile : les originaux sont sous nos yeux. A quoi, imiter ce qui est déjà dans la nature?

Selon ARISTOTE, le plaisir d'apprendre et de reconnaître est un élément du plaisir :

"(...) nous prenons plaisir à contempler les images les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, comme les formes d'animaux les plus méprisés et des cadavres"

ARISTOTE. Poétique. IV, 1448 b 10 sq5 .

B. Cette activité est un jeu présomptueux : le tableau n'offre que deux dimensions. Il faut être un pigeon pour se méprendre.

C. L'art, s'il ne fait qu'imiter, ne peut pas restituer le monde intérieur et la vie.

"(...) lorsqu'il ne va pas au - delà de la simple imitation, il est incapable de nous donner l'impression d'une réalité vivante ou d'une vie réelle : tout ce qu'il peut nous offrir, c'est une caricature de la vie"

HEGEL. Esthétique. I6 .

Commentaire :

 

2. L'art est production de simulacres.

PASCAL dit de la peinture qu'elle est vanité.

- 1. L'art produit des apparences. Le peintre peint ce qu'il voit de l'endroit, au moment où il le voit, sous un aspect seulement, et sur une surface à deux dimensions.

A. La peinture ne peut pas rendre le réel : elle mensonge ontologique. Le peintre recourt au trompe - l'oeil, à la perspective.

B. La peinture est production de l'ignorant : le peintre voit ce qu'il voit mais il ne sait pas ce qu'il voit.

RM. GERICAULT fréquentait les écuries pour peindre exactement les formes des chevaux ; LEONARD avait des connaissances en anatomie.

C. La peinture produit une apparence qui flatte. Ainsi, le peintre de portrait représente le commanditaire sous son meilleur aspect.

 

- 2. Le peintre rend visible le réel. C'est le propos de Paul KLEE :

"L'art ne reproduit pas le visible ; il rend visible"

KLEE. Théorie de l'art moderne. 3, Credo du créateur7 .

Avant le peintre, nul ne voyait ; après et avec le peintre nul ne voit comme avant.

"A présent, les gens voient des brouillards, non pas parce qu'il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. Des brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres. J'ose même dire qu'il y en eut. Mais personne ne les a vus et ainsi, nous ne savons rien d'eux. Ils n'existèrent qu'au jour où l'art les inventa"

Oscar WILDE. Intentions. "Le déclin du mensonge"8 .

Ainsi Joseph Malord William TURNER fit voir les brouillards Pluie,Vapeur, Vitesse (1844)9 .

- 3. La peinture est proposition et partage d'une vision. Le peintre donne à voir ce que l'on ne peut pas voir.

Le ready - made propose de découvrir la beauté cachée par leur ustensilité, leur banalité des objets de tous les jours.

Ainsi la Roue de bicyclette (1913) de Marcel DUCHAMP10 .

 

La peinture est une expérience du réel, un essai de perception. Ainsi la série de Paul CEZANNE sur la montagne SAINTE - VICTOIRE11 construit la perception du réel de la montagne.

 

3. Le beau naturel.

Pour PASCAL, la peinture détourne des originaux. Seuls ces derniers seraient beaux

- 1. Le beau naturel. On désigne par là les objets de la nature qui esthétiquement plaisent : les nuages, les fleurs, les pierres.

Ainsi les pierres aux masures étudiées par Roger CAILLOIS12 .

- 2. Le beau naturel, beau humain. Le beau naturel n'est beau que pour l'homme formé et éduqué par l'art.

"(...) c'est d'abord la musique qui éveille le sens musical de l'homme ; pour l'oreille qui n'est pas musicienne, la musique la plus belle n'a pas aucun sens (...)"

MARX. Manuscrits de 1844. IIIème Manuscrit, p. VIII13 .

"C'est seulement grâce à la richesse objectivée de l'essence humaine que se crée et se forme la richesse de la sensibilité subjective de l'homme, qu'une oreille devient musicienne, qu'un oeil perçoit la beauté de la forme, bref que les sens deviennent capables de jouissance humaine, deviennent des sens qui s'affirment comme des forces essentielles de l'homme. Car non seulement les cinq sens, mais aussi les sens dits spirituels, les sens pratiques (volonté, amour, etc.), en un mot le sens humain, l'humanité des sens, ne se forment que grâce à l'existence de leur objet, grâce à la nature humanisée"

MARX. Manuscrits de 1844. IIIème Manuscrit, p. VIII14 .

La beauté est humaine d'abord ; la beauté n'a de sens et d'existence que par et que pour l'homme.

 

- 3. L'art , dévoilement de la beauté du monde. L'art n'imite pas la nature mais il éveille à la beauté du monde, il exerce à voir la beauté du monde.


  1. Cf. PASCAL (1976), p. 86.
  2. Cf. KANT (1984), p. 135.
  3. Cf. ARISTOTE (1990 a), p. 108.
  4. Cf. HEGEL (1979, I), p. 36.
  5. Cf. ARISTOTE (1990 c), p. 105 - 106.
  6. Cf. HEGEL (1979, I) p. 35.
  7. Cf. KLEE (1980), p.34.
  8. Cf. HANSEN - LOVE (1989, 2), p. 90.
  9. Cf. D'ALFONSO (1988), p. 307.
  10. Cf. BOURDAIS (1990), p. 123.
  11. Cf. BERNARD (1988), p. 7.
  12. Cf. CAILLOIS (1987), p. 21 - 45.
  13. Cf. MARX (1996), p. 150.
  14. Cf. MARX (1996), p. 151.


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